"Au soldat russe qui n'a pas touché sa solde depuis six mois et qui se morfond dans la nuit glacée d'un casernement sibérien parmi les armes à longue portée et les engins tout terrain, il faudrait une conscience d'acier pour épargner le tigre qui rôde dans les parages et dont les os et la peau, vendus à la frontière, lui permettraient de vivre près de trois ans. La violence faite à la nature est donc à la fois le recours des pauvres qui luttent pour survivre aussi bien que des riches qui détruisent pour propérer, et sa protection passe par la double lutte contre la misère et contre le gaspillage, fléaux complémentaires bien plus qu'antagonistes.
Notre société prospère à la fois sur la pénurie et sur le gâchis, de même qu'elle produit simultanément des biens et des besoins, qu'elle crée une fringale de nourritures grasses en même temps qu'une hantise de la minceur. À la limite, toute différence est abolie entre opulence et misère, entre croissance et destruction. Aux yeux des économistes et des statisticiens, même les nuisances provoquées par les encombrements automobiles, les suréquipements ou les soins médicaux sont comptabilisées en signes de richesse, et la prospérité des vendeurs d'eau minérale ne sera pas chiffrée comme le coût de la pollution des eaux de distribution urbaine mais comme une élévation du niveau et de la qualité de vie, de sorte que les sommes gaspillées à panser les plaies d'un progrès négatif passeront elles-mêmes pour un facteur de progrès positif."
Armand Farrachi, "Les Ennemis de la terre" (cité par Bernard Maris, "Antimanuel d'économie. 1: les fourmis", chapitre "Le langage du pouvoir").
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