Wednesday, January 30, 2008

Wisdom

"But what is wisdom ? Where can it be found ? Here we come to the crux of the matter: it can be read about in numerous publications but it can be found only inside oneself. To be able to find it, one has first to liberate oneself from such masters as greed and envy. The stillness following liberation - even if only momentary - produces the insights of wisdom which are obtainable in no other way."

E. F. Schumacher, in Small is beautiful.

Saturday, January 26, 2008

Recherche et réciprocité

Un argument fondamental contre la direction que le gouvernement français actuel veut donner à la recherche (à savoir diminuer la recherche fondamentale financée par les fonds publiques au profit de la recherche appliquée financée par les entreprises):

"Depuis 1980, date où General Electric réussit à faire breveter un gène, les firmes américaines peuvent breveter le vivant. Depuis, des milliers de gènes sont brevetés, comme ceux prédisposant au cancer du sein. Du coup, les laboratoires rivaux travaillant sur le cancer du sein ne peuvent plus faire d'expérimentation sur ces gènes. La recherche sur le cancer du sein est fortement pénalisée. Certes, la firme ayant déposé le brevet peut arguer du fait qu'elle a dans son équipe le petit génie qui va guérir le cancer du sein. Mais c'est méconnaître une loi fondamentale de la recherche: la masse et la réciprocité.
Pourquoi la Chine fit-elle toutes les découvertes importantes de l'Humanité avant la révolution industrielle ? Parce qu'elle était le pays le plus peuplé du monde, le pays où les apprentissages, les itérations, les erreurs répétées et corrigées et les découvertes étaient plus fréquents qu'ailleurs. De même, pourquoi y eut-il tant de chercheurs géniaux autour d'Einstein (Gamow, Pauli, Schröedinger...) ? Parce que celui-ci ne protégeait pas ses découvertes comme un avare sa cassette. Et pourtant, Einstein savait parfaitement ce qu'était un brevet: il travaillait à l'Office des brevets de Berne et déposa des brevets à titre personnel. Mais ce n'est qu'en communiquant avec les autres chercheurs qu'il avança, et que ceux-ci progressèrent. La science est quelque chose de trop sérieux pour la laisser aux entreprises, guidées par la seule loi du profit à court terme. La recherche n'avance pas de manière masquée. Elle ignore le concept de propriété. Einstein ne s'est jamais cru le propriétaire de ses équations, ni même, modestement, leur inventeur. Il savait qu'il devait trop à ceux qui cherchaient en même temps que lui.*"

* Un chercheur, le docteur Marra, a réussi à séquencer le génome du virus du Sras, laissant espérer un traitement et, pourquoi pas, un vaccin contre cette maladie. Aussitôt, la firme pour laquelle il travaillait a déposé un brevet. Le docteur Marra a refusé d'associer son nom au brevet, arguant de ce que les séquences d'ADN sont des découvertes, et non des inventions et, en ce sens, non brevetables. Chapeau, docteur Marra !

Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les cigales, chapitre "La revanche de la coopération" (note ajoutée de l'auteur, accentuation en gras personnelle).

Wednesday, January 23, 2008

Le droit de l'écrivain

Toujours dans la série sur la propriété privée, voici une belle citation de Victor Hugo:

"Le livre comme livre appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient - le mot n'est pas trop vaste - au genre humain.
Toutes les intelligences y ont droit.
Si l'un des deux droits, le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l'écrivain, car l'intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous."

Cité par Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les cigales, chapitre "La revanche de la coopération".

Monday, January 21, 2008

La propriété du génie

Je recopie ici ce beau texte de Jean Zin (publié initialement ici) sur la propriété intellectuelle (et je recommande la lecture intégrale de la page indiquée):

"La propriété du génie n'est pas dans le fait, dans la découverte elle-même, mais dans la conception d'ensemble, dans la relation, le raccourci, l'éclair, l'articulation, le système. Un grand savant ne se réduit pas à la somme de ses découvertes qui sont plutôt influencées par sa personnalité, sa philosophie de la science. De même ce qui fait un grand artiste, ce n'est pas telle ou telle oeuvre mais ce qui se répond de l'une à l'autre, le monde qu'il a su faire émerger. Le révolutionnaire aussi se distingue par son style, son attitude et ses formules plus que par ses faits d'arme fussent-ils glorieux. Le talent, c'est l'exigence, l'insatisfaction et le travail ! En dehors de cette exigence de vérité et d'authenticité, du courage de dire et de se corriger, personne n'invente rien. Les idées originales sont presque toujours fausses, ou pas aussi originales qu'on le croit. On s'inscrit plutôt dans une histoire ancienne. Le monde et le langage nous précèdent, on ne fait jamais que restituer ce qu'on a appris, ramasser ce qui traîne, mettre en relation du bien connu, renforcer le trait. Répétons-le, le génie ne fait que rassembler des savoirs épars, les mettre en série, en tirer une logique, un éclair. C'est une logique propre qu'on pourrait lui attribuer, plus que ses manifestations concrètes.

La propriété intellectuelle d'une découverte peut toujours être contestée car l'intellect est commun, toute découverte est collective puisqu'elle s'inscrit dans un discours (sinon elle est tout simplement ignorée). Un texte est toujours constitué d'autres textes, de citations révolues comme disait Barthes. C'est ce qu'on appelle l'intertextualité mais cela s'applique aussi bien à la musique ou à la peinture dont l'évolution historique est presque entièrement auto-référentielle, chacun se copiant inévitablement en constituant ainsi le style de l'époque. Le plagiat règne en maître, les procès en paternité sont toujours contestables. Cela n'empêche pas que le rôle de l'auteur, l'orientation qu'il donne, l'agitation qu'il suscite, restent irremplaçables. En tout cas il faut constater que les attributions les mieux établies peuvent toujours être remises en question. Plutôt que de se lancer dans d'interminables complications, il faudrait vraiment renoncer à vouloir étendre le domaine de la propriété dans le domaine immatériel, surtout dans celui des connaissances et du logiciel. Nous sommes tous les fils de notre temps. Il faut faire l'éloge du plagiat, pas plus coupables que les gamins qui s'échangent avec raison des musiques MP3 qui sont faites pour ça. Il vaut toujours mieux citer ses sources mais de toutes façons un mauvais plagiaire restera mauvais. Evitons les interminables querelles d'appropriation, évitons les brevets logiciels qui empêchent de programmer (il faudrait s'assurer que chaque ligne de code qu'on écrit n'est pas brevetée!) Certes, il est injuste que le génie ne soit pas récompensé comme il le mériterait. On a rarement tout ce qu'on mérite mais la vérité ne se marchande pas et il n'y a pas d'autre hommage dans le domaine du savoir que d'être repris et dépassé par d'autres. Poincaré avait raison de ne pas accorder d'importance à l'appropriation de ses découvertes. Tout ce qui peut s'approprier ne vaut pas grand chose, ce n'est que du travail. Le génie ne s'achète pas, c'est un coup de chance, un miracle dans toute sa gratuité et qui est donné à tous."

Cité par Bernard Maris dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les Cigales, chapitre "Capitalistes et savants ou comment l'argent naît de la gratuité.

Thursday, January 17, 2008

Des bons et mauvais côtés de la concurrence

"Christiane Singer raconte une magnifique histoire. Un formateur américain, un sportif, arrive dans un village d'Afrique, bien décidé à inculquer l'esprit de compétition aux petits Noirs. Il organise une course: « Le premier arrivé aura une récompense. » Bang ! Départ. Et... tous les enfants se prennent par la main et arrivent ensemble, en riant et chantant sous les yeux médusés du fabricant de compétiteurs. Ces enfants sont libres. Les petits prodiges du sport moderne, eux, sont esclaves. Il n'y a aucune liberté dans la concurrence: la concurrence est une glu, pis, un étau qui nous enserre et nous pressure. Nous ne sommes pas libres de lutter contre les autres, nous sommes pressés comme des citrons, produisant d'ailleurs un jus de plus en plus aigre dans une vie d'aigreur."

C'est la première fois (du moins je crois) que je lis une critique de la concurrence, concept tellement ancré dans nos sociétés occidentales, et qui nous est inculqué dès notre plus jeune âge, qui résonne avec mon intuition. Pourtant, la concurrence n'a pas que du mauvais:

"Nous touchons du doigt l'un des phénomènes les plus étranges de l'économie qui justifie, il faut le reconnaître, le concept de concurrence. Paradoxalement, la concurrence renforce l'esprit coopératif.
Image: un match de foot. Imaginons un entraîneur libéral qui, dans les vestiaires, avant le match, braille: « Chacun pour soi ! Surtout, pas de passes ! Perso-perso-perso ! Que chacun se démerde et on gagnera ! » L'entraîneur coopératif maintenant: « Le collectif, d'abord le collectif, surtout le collectif, les gars ! » On ne donnera pas cher de l'équipe entraînée par le libéral. Pour autant, la concurrence agit comme un aiguillon: le désir de battre l'autre équipe, le fait d'être en « concurrence » avec elle, ne peuvent que renforcer le collectif. Il est clair que la concurrence stimule les phénomènes de coopération.
Alors ? Cherchez l'erreur ?
La concurrence des deux équipes de foot n'est pas exactement celle de l'économie, qui ressemble plus à celle de la guerre. L'autre équipe n'est pas détruite. On se serre la main en fin de partie. On pourra rejouer ensemble. Dans l'économie, quand une équipe gagne le marché, l'autre disparaît. Pire: si une économie nationale détruit une autre économie nationale, elle souffrira en retour de cette destruction. La France a gagné contre l'Allemagne en 1914. L'Europe, c'est-à-dire la France plus l'Allemagne, a perdu. L'Allemagne a gagné contre la France en 1940. L'Europe, elle, a été mortellement blessée. Plutôt que la concurrence, il serait plus juste de dire que l'adversité renforce la coopération. C'est dans les moments difficiles (épidémie, catastrophe...) que la coopération resurgit naturellement. La dernière grande peste de Marseille (1720) a engendré un immense effort coopératif et de solidarité, et a permis d'énormes progrès en matière de prévention, de prophylaxie, d'hygiène et de construction hospitalière."

Voilà me semble-t'il une bonne position sur la question: la concurrence est bonne tant que les enjeux sont secondaires, mais lorsqu'il s'agit de besoins primaires (gagner suffisamment pour vivre décemment) elle devient malsaine...

Extraits de Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les cigales, chapitres "L'espérance de vie" et "La revanche de la coopération".

Tuesday, January 15, 2008

Cosmic rays and climate

My attention was brought by this week's issue of Science onto an article by Vincent Courtillot and co-workers from the Institut de Physique du Globe de Paris entitle "Are there connections between the Earth's magnetic field and climate ?" (Earth and Planetary Science Letters, v. 253, 2007, pp. 328-339).
In this interesting article, the authors argue that there are correlations between variations in the geomagnetic field and Earth mean temperature on different time scales ranging from secular variations (10-100 years) to geological variations (1,000-1,000,000 years). They also propose physical mechanisms to explain the relations between the geomagnetic field and climate:

"Three mechanisms are thought to link solar variability with climate: (1) changes in solar irradiance leading to changes in heat input to the lower atmosphere; (2) solar ultraviolet radiation coupled to changes in ozone concentration heating the stratosphere; and (3) galactic cosmic rays [...] These are modulated by longterm solar magnetic activity, by changes of the source of galactic cosmic rays as well as by changes of the Earth's magnetic field. Cosmic rays could in turn act on climate in three ways: (1) through changes in the concentration of cloud condensation nuclei (CCN); (2) thunderstorm electrification; and (3) ice formation in cyclones. [...] Higher cosmic ray flux would lead to more low clouds and thus higher albedo and lower Earth surface temperatures. The cosmic ray variation over one solar cycle translates as a change of energy input to the atmosphere on the order of 1.5 W/m^2, which is not negligible compared for instance to the estimated radiative forcing from anthropogenic CO2 emissions (~2 W/m^2)."

Unfortunately, they do not give a reference for their estimate of 1.5 W/m^2, and I wonder how they obtained it. If it is simply from empirical correlations, it is not robust since "different direct and indirect physical processes may operate simultaneously", as recalled in Climate Change 2007, the physical basis, Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (p. 193). Also according to the IPCC report:
"Whether solar wind fluctuations or solar-induced heliospheric modulation of galactic cosmic rays also contribute indirect forcings remains ambiguous. [...] Because of the difficulty in tracking the influence of one particular modification brought about by ions through the long chain of complex interacting processes, quantitative estimates of galactic cosmic-ray induced changes in aerosol and cloud formation have not been reached." (pp. 192-193).

No numerical model can yet predict clouds formation at the level of details required to give quantitative estimates of the proposed mechanism, therefore it remains speculative, and observed correlations do not prove anything, since two quantities can be correlated because they both depend on a third one, without having a direct link between them.
Therefore this is an interesting speculation, which deserves further research, but is not likely to question the consensus on the causes of climate change, since as even Courtillot et al. say:

"The observed correlation between temperature and magnetism fails after the mid-1980s, when solar irradiance and magnetic activity drop, whereas temperature continues an accelerated rise. This is when anthropogenically-induced global warming might first become apparent. Having lost the « Sun-Magnetism-Climate connection », which seems to have prevailed over geological until very recent times, may be a worrying loss..."

Sunday, January 13, 2008

Biopiraterie

"La biopiraterie est l'une des manisfestations les plus brutales de l'exclusion. De mémoire de paysan, une partie de la récolte est réutilisée pour l'ensemencement. C'est un cycle naturel de la vie rurale: semailles, moisson, semailles. L'irruption des plantes transgéniques a cassé ce cycle. Désormais, les variétés aux gènes modifiés bénéficient d'un brevet et il est interdit, sous peine d'amende, de les réensemencer à partir d'une récolte. Le paysan doit passer par le fabriquant de graines, qui les revend à son tour. Comme les paysans passaient outre, malgré les appels à la délation, les enquêteurs privés, les procès et les amendes extrêmement sévères, les firmes ont mis au point des graines stériles après usage. Elles ne servent qu'une fois. Le cycle de la reproduction est définitivement rompu. La firme Monsanto, multinationale qui « fait la guerre au vivant », selon la belle expression de Jean-Pierre Berlan*, considère que la nature est, par essence, pirate, voleuse et libertaire, avec sa manie de se reproduire tranquillement hors des phénomènes d'exclusion et d'appropriation privée, et l'agriculteur, qui vit à son rythme, un receleur: « Le but des industriels semenciers est donc de séparer la production de la reproduction. Au paysan la production, au capital le privilège de la reproduction », écrit Jean-Pierre Berlan.

* La Guerre au vivant. OGM et autres mystifications scientifiques

Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les cigales, chapitre "Les brevets sont-ils un frein à l'invention ?".

Je tombe des nues (je n'étais pas au courant de cet aspect des OGMs). C'est inadmissible ! Déjà, je sympatisais avec la cause de José Bové, par principe de précaution (on ne joue pas avec la nature, car les liens entre les êtres vivants sont tellement compliqués qu'il est très difficile de prévoir les conséquences d'une introduction dans la nature d'espéces dont certaines caractéristiques ont été modifiées). Maintenant, je comprend pourquoi il en est venu à faire une grève de la faim il y a quelques jours pour que les promesses du gouvernement concernant le moratoire sur les OGMs soient tenues.
Ah, les belles paroles des supporteurs des OGMs, comme quoi ils vont permettre de résorber la famine dans le monde. Et si les pauvres n'ont pas les moyens d'acheter des nouvelles graines à chaque nouvelle semence, à quoi cela va-t'il leur servir d'avoir du maïs qui résiste à telle maladie ou à tel prédateur, juste pour une récolte ?
C'est encore un exemple où, si les choses avaient été faite de manière collective, de sorte que la plante "améliorée" soit gratuite et puisse se reproduire toute seule (et en ayant fait tous les tests nécéssaires pour garantir aussi faire se peut l'inoffensivité de la nouvelle plante sur son environnement), nous arriverions à une solution bien meilleure qu'en laissant les choses dans les mains du privé. J'ajouterais donc cet autre principe: on ne privatise pas le vivant, qui est par essence collectif.

Thursday, January 10, 2008

La propriété

"Dernier pilier du système à ébranler: la propriété. Internet a permis la progression de phénomènes comme Napster (logiciel de partage de fichiers musicaux) qui sont de véritables atteintes au droit de propriété (comme la photocopie est une atteinte aux droits d'auteur et d'éditeur), et surtout de phénomènes comme le logiciel libre, totalement inadmissibles et incompréhensibles par l'économie capitaliste.
Les défenseurs du logiciel libre (comme Linux) sont dans l'autre économie. Au départ, des informaticiens passionnés, des geeks, lancent un projet sur le Net, pour échapper au diktat de Microsoft qui fonctionne selon la vieille économie: rareté et péage. L'amélioration du logiciel est menée par une communauté d'utilisateurs potentiels éparpillés dans le monde, qui fonctionne selon le principe du plaisir et du don. Chacun apporte sa pierre au logiciel. Au total, celui-ci se révèle bien plus efficace que le logiciel concocté dans le secret et protégé par un brevet, Microsoft, à tel point que de grands groupes comme IBM l'ont adopté.
Le logiciel libre retrouve une vieille lune de l'anticapitalisme: la société coopérative. Des ouvriers, des artisans, unissent leurs efforts pour produire un bien en se redistribuant les profits.
L'information semble être un « bien », une dimension de l'humanité, inépuisable, non polluante et susceptible de croître à l'infini. Elle peut être fournie par les uns sans qu'ils s'appauvrissent, chose qui est inadmissible pour l'économie de marché, fondée sur la rareté et l'exclusion. Elle recèle l'abondance et la propriété collective..."

Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitre "L'autre économie".

Wednesday, January 9, 2008

Misère de la richesse

"Nos arrogantes sociétés se conçoivent comme extrêmement riches, méprisant la frugalité de sociétés dites primitives, mais ignorent la destruction de la faune et de la flore, la perte irrémédiable de la biodiversité et de la diversité tout simplement, la disparition des langues, crime contre l'humanité. Elles ne comptent ni le malheur, ni le stress, ni la tristesse, globalement engloutis dans l'allongement de l'espérance de vie d'une existence désespérante. Des milliers d'activités relevant du don de soi ou de l'altruisme ne sont jamais comptabilisées (comment comptabiliser le dévouement des bénévoles dans un incendie, le travail d'une femme au foyer ? D'une mère qui apprend à lire à son enfant ?), comme s'il fallait pénaliser systématiquement tout ce qui est non marchand.[...]
Le savoir est-il un luxe que l'on peut se payer ou l'une des composantes inestimables de l'âme humaine ? Estimer la valeur des découvertes de Pasteur par le chiffre d'affaires de la chimie ou celle d'une pièce de Racine par des ventes éditoriales a quelque chose d'indécent, et pour tout dire... dévalorisant.
Le jour où nous compterons nos destructions dans notre fameux PIB, nous risquons de nous retrouver bien pauvres ! Au bout du compte, la richesse et la valeur produites par nos sociétés ne se justifient que par l'allongement de cette espérance de vie que nous agitons à tout propos, mais rien ne dit que notre vie vaille d'être vécue autant que celle, plus courte, d'autres hommes, dans l'Antiquité par exemple. Et songeons à ceux dont la vie, bien longue, n'est plus que survie. Et à ceux dont l'espérance de vie diminue, en Afrique par exemple.


Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitre "Le partage de la richesse".

Tuesday, January 8, 2008

Nains sur les épaules de géants

Une belle citation qui résume bien ce que la majorité des chercheurs, inventeurs et autres penseurs sont:

"Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu'eux, non parce que notre vue est plus aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu'ils nous portent en l'air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesque."

Bernard de Chartres, cité par Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitre "La croissance".

Monday, January 7, 2008

La richesse ne vient pas du travail

Voici l'antithèse de la théorie de Marx sur la valeur des choses:

"La richesse ne vient pas du travail, selon eux [les physiocrates]: « seule l'agriculture est productive, car elle seule crée plus de richesse qu'elle n'en consomme.»* L'industrie, le commerce, disent-ils, sont stériles; leur revenu brut n'excède pas leurs dépenses. La richesse, c'est la matière. Or le commerce ne crée pas de matière, le travail non plus. Le menuisier, sa table achevée, ne crée pas de bois, au contraire, il produit des copeaux, des déchets. Mais lorsque l'agriculteur sème un grain de blé, il en récolte dix. Seule la nature est productive. Cette thèse extrème est intéressante car elle nie au travail, au commerce et à l'industrie, le pouvoir de créer quoi que ce soit. L'industrie transforme, simplement. Au fond, derrière toute activité humaine, si sophistiquée soit-elle, se trouvent Mère Nature et sa capacité à enrichir les hommes par ses cycles de reproduction. En un temps où toutes les espèces sauvages disparaissent, où la latérisation et la vitrification de la planète, sa bidonvilisation, l'empoisonnement de son air et de son eau sont à l'oeuvre, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que notre mère la Terre reste notre richesse fondamentale."

* Daniel Villey, Petite Histoire des grandes doctrines économiques

Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitre "Le partage de la richesse".

Bien que cette théorie soit effectivement extrème, puisqu'elle nie au travail humain toute valeur, alors que l'utilité du minerais de fer par exemple serait assez restreinte sans le savoir-faire pour en extraire le métal, elle a le mérite de rappeler qu'il faut aussi comptabiliser les ressources naturelles dans nos calculs économiques, car celles-ci ne sont pas infinies. C'est le défaut majeur de la théorie de Marx qui m'a fait arrêter la lecture du Capital (en plus du fait que c'est extrêmement difficile à lire...).

Wednesday, January 2, 2008

La rareté, la croissance et la pauvreté

Arrivant à la fin du livre de Bernard Maris, je crois avoir enfin compris d'où nous vient cette idéologie de la croissance économique. Tentative d'explication.

"L'absence de valeur de l'air, (autrefois) de l'eau et des résultats de la cueillette dans les sociétés très anciennes, tient à l'abondance des biens. Dans la mesure où l'homme ne lutte pas contre la nature mais se contente de tendre la main et de récolter ses fruits, les besoins sont satisfaits et les biens n'ont pas de valeur. Losque la nature se fait hostile et les biens rares, seul le travail humain permet de satisfaire les besoins: Smith, puis Ricardo, Malthus, Mill, et surtout Marx, firent du travail le fondement de la valeur des marchandises. La valeur des biens croît à peu près en proportion du travail destiné à les acquérir ou les produire."

Le thème central est donc celui de la rareté:
"il n'y a d'économie que parce qu'il y a des raretés, donc des prix. Et la croissance est d'abord une lutte contre la rareté par la mobilisation de facteurs de production que sont le travail, le capital, la terre (la nature), la technologie."

Cela explique pourquoi les économistes comme Jeffrey Sachs prônent la croissance économique, garantie par des économies libérales, pour lutter contre la pauvreté, qui elle-même découle de la rareté !
La question est donc de savoir si les économies libérales sont les plus efficaces pour promouvoir la croissance économique.

"Qui fait la croissance ? Réponse des économistes: le travail, le capital et le progrès technique. Le temps de labeur, les machines et l'organisation du labeur et des machines. [...] Les économistes sont très mal à l'aise avec le progrès technique. D'où vient-il ? Du ciel, comme on le disait dans les modèles de croissance des années 60, en l'assimilant à la « manne » céleste ? Récemment, on a tenté de l'imputer à la croissance elle-même, par un phénomène de « bouclage »: la croissance produit le progrès qui produit la croissance."

Comment ?
"par le biais des rendements croissants. Les « rendements croissants », forme d'externalité positive, c'est-à-dire de relation économique ne passant pas par le marché et engendrant du bien pour l'économie, sont des progrès d'organisation. [...]
Les rendements croissants [...] sont des effets de réseau, des effets externes positifs d'une entreprise à l'autre. [...]
Il est essentiel de comprendre que les rendements croissants, autrement dit, le progrès technique endogène, se réalisent hors marché. Ils sont donc des phénomènes gratuits et collectifs. Insistons sur la double qualité de gratuité et de collectivité. Ce qui ne veut pas dire charitables ! Les entreprises de la Silicon Valley, qui font profiter de leur « réseau » les nouvelles entreprises qui s'installent, n'ont rien de charitable, mais c'est ainsi, le réseau des chercheurs, des cadres, des innovateurs, des clients profite à toutes. [...]
La croissance endogène nous offre une réflexion d'une rare profondeur sur le fonctionnement économique. L'idée est qu'il ne peut y avoir croissance marchande forte sans quelque chose qui échappe, socialement, au marché. [...] Pour comprendre la croissance endogène, il faut penser à la recherche. Un chercheur travaille, seul ou en équipe, et propose ses résultats dans des congrès à d'autres chercheurs. Le principe de la recherche est la gratuité. Offrant ses résultats, il sait deux choses: 1) il ne perdra rien de ce qu'il sait, car contrairement au litre d'essence, qui appartient à Pierre et non à Paul, le théorème de Pythagore peut appartenir à plusieurs personnes; 2) il apprendra des autres, autrement dit, il recevra d'eux. Phénomène de rendements croissants: de l'échange gratuit, tout le monde ressortira enrichi, sans rien avoir payé.
La croissance des pays s'explique donc par des phénomènes gratuits qui compensent les tendances funestes de la compétition à tirer en général les économies vers le bas. Ils introduisent des éléments qui permettent de lutter contre la rareté liée à la compétition pour les places, les biens, l'espace..."

On voit bien que la compétition, un pilier fondateur des économies libérales, tend à augmenter la rareté des biens qui deviennent accaparés par les plus forts, et n'est donc certainement pas un bon moyen pour lutter contre la pauvreté. En revanche, la coopération et la gratuité offrent des mécanismes de bouclages positifs qui permettraient une croissance encore plus rapides (tout en faisant bien attention que cette croissance soit compatible avec le fonctionnement de la nature, si on ne veut pas finir avec des phénomènes de bouclages négatifs qui ruineraient tout) !

Extraits cités de Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitres "Le partage de la richesse" et "La croissance".

Tuesday, January 1, 2008

La logique sans le coeur

Commençons la nouvelle année avec un coup de gueule (de bois):

"Le principe d'un « marché de la pollution » a des conséquences terribles sur la localisation des activités polluantes. Lawrence Summers a été membre du staff de la Banque mondiale et chef des conseillers économiques du président Clinton, avant de devenir président de l'Université de Harvard. En 1991, il écrit ceci: « Les pays sous-peuplés d'Afrique sont largement sous-pollués. La qualité de l'air y est d'un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles. Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays les moins avancés... et se préoccuper davantage d'un facteur aggravant les risques d'un cancer de la prostate dans un pays où les gens vivent assez vieux pour avoir cette maladie, que dans un pays où deux cents enfants sur mille meurent avant d'avoir l'âge de cinq ans. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversés là où les salaires sont les plus faibles est imparable. » Que vaut la vie humaine ? Sa durée multipliée par son salaire annuel. Ainsi, elle vaut très peu de chose au Zimbabwe, mais beaucoup à New York. Un mort à New York coûte très cher à l'humanité, un mort à New Delhi ne coûte rien. Transférons donc les facteurs morbides du Nord au Sud."

Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitre "La croissance".

Logique imparable en effet. Mais la logique sans le coeur rend con.