Gandhi nous propose sa vision pragmatique et authentique de la non-violence, à l'opposé d'une vision dogmatique qui voudrait qu'il soit interdit de donner la mort au nom de la non-violence:
"Il y a quelques jours, à l'ashram, un veau qui s'était blessé, gisait sur le sol, en pleine agonie. L'animal avait reçu tous les soins possibles. Mais, selon le vétérinaire que nous avions consulté, le cas était désespéré. La pauvre bête souffrait tellement que le moindre mouvement la faisait hurler de douleur.
Dans ces circonstances, j'estimais que la pitié la plus élémentaire exigeait qu'on mît fin à cette agonie en achevant l'animal. La question fut soulevée en présence de tous les membres de l'ashram. Au cours de la discussion, un voisin fort estimable s'opposa avec véhémence à ma suggestion. Selon lui, on n'a pas le droit de détruire ce qu'on est incapable de créer. Cet argument aurait été valable si on agissait en l'occurrence dans un intérêt égoïste. Mais ce n'était pas le cas. Finalement, en toute humilité mais sans la moindre hésitation, je fis donner le coup de grâce à l'animal en demandant au vétérinaire de le piquer. Ce fut l'affaire de deux minutes.
Je savais que l'opinion publique, surtout à Ahmedabad, me désavouerait et verrait dans mon acte un manquement à l'ahimsa. Mais je sais non moins bien qu'il faut faire son devoir sans se soucier de l'opinion des autres. J'ai toujours considéré que chacun devait agir selon sa propre conscience, même si les autres vous donnent tort. L'expérience a confirmé à mes yeux le bien-fondé de ce principe. C'est ce qui fait dire au poète: « le sentier de l'amour passe par l'épreuve du feu; les timorés s'en détournent ». Le sentier de l'ahimsa, c'est-à-dire de l'amour, doit souvent être parcouru en toute solitude.
On pourrait, non sans raison, me poser la question: Auriez-vous procédé de la même manière si, au lieu d'un veau, vous aviez eu affaire à un être humain? Aimeriez-vous qu'on vous traite de la même façon? Je réponds: « oui ». Le même principe vaut pour ces deux cas. Ce qui s'applique à une situation doit être applicable à toutes. Cette règle ne souffre aucune exception, ou alors le fait de tuer ce veau était un acte mauvais et violent. Toutefois, si on n'abrège pas les souffrances des êtres qui nous sont chers, en mettant un terme à leurs jours, c'est qu'en général on dispose d'autres moyens pour les secourir et qu'ils peuvent eux-mêmes décider en connaissance de cause. Mais, supposons qu'un ami se débatte dans les affres de l'agonie. Le mal dont il souffre est incurable et je ne peux rien pour atténuer son supplice. Dans ce cas, s'il n'a même plus de conscience réfléchie, le recours à l'euthanasie ne me semblerait nullement contraire aux principes de l'ahimsa.
Mohandas Gandhi, Tous les hommes sont frères, chapitre "En guise d'autobiographie".
Thursday, June 19, 2008
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1 comment:
pas certain d'adhérer à l'application à l'être humain. A la limite dans le principe, mais en pratique, il ne faut pas l'autoriser, trop de risque de dérives. Pareil que pour l'eugénisme.
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