Wednesday, January 2, 2008

La rareté, la croissance et la pauvreté

Arrivant à la fin du livre de Bernard Maris, je crois avoir enfin compris d'où nous vient cette idéologie de la croissance économique. Tentative d'explication.

"L'absence de valeur de l'air, (autrefois) de l'eau et des résultats de la cueillette dans les sociétés très anciennes, tient à l'abondance des biens. Dans la mesure où l'homme ne lutte pas contre la nature mais se contente de tendre la main et de récolter ses fruits, les besoins sont satisfaits et les biens n'ont pas de valeur. Losque la nature se fait hostile et les biens rares, seul le travail humain permet de satisfaire les besoins: Smith, puis Ricardo, Malthus, Mill, et surtout Marx, firent du travail le fondement de la valeur des marchandises. La valeur des biens croît à peu près en proportion du travail destiné à les acquérir ou les produire."

Le thème central est donc celui de la rareté:
"il n'y a d'économie que parce qu'il y a des raretés, donc des prix. Et la croissance est d'abord une lutte contre la rareté par la mobilisation de facteurs de production que sont le travail, le capital, la terre (la nature), la technologie."

Cela explique pourquoi les économistes comme Jeffrey Sachs prônent la croissance économique, garantie par des économies libérales, pour lutter contre la pauvreté, qui elle-même découle de la rareté !
La question est donc de savoir si les économies libérales sont les plus efficaces pour promouvoir la croissance économique.

"Qui fait la croissance ? Réponse des économistes: le travail, le capital et le progrès technique. Le temps de labeur, les machines et l'organisation du labeur et des machines. [...] Les économistes sont très mal à l'aise avec le progrès technique. D'où vient-il ? Du ciel, comme on le disait dans les modèles de croissance des années 60, en l'assimilant à la « manne » céleste ? Récemment, on a tenté de l'imputer à la croissance elle-même, par un phénomène de « bouclage »: la croissance produit le progrès qui produit la croissance."

Comment ?
"par le biais des rendements croissants. Les « rendements croissants », forme d'externalité positive, c'est-à-dire de relation économique ne passant pas par le marché et engendrant du bien pour l'économie, sont des progrès d'organisation. [...]
Les rendements croissants [...] sont des effets de réseau, des effets externes positifs d'une entreprise à l'autre. [...]
Il est essentiel de comprendre que les rendements croissants, autrement dit, le progrès technique endogène, se réalisent hors marché. Ils sont donc des phénomènes gratuits et collectifs. Insistons sur la double qualité de gratuité et de collectivité. Ce qui ne veut pas dire charitables ! Les entreprises de la Silicon Valley, qui font profiter de leur « réseau » les nouvelles entreprises qui s'installent, n'ont rien de charitable, mais c'est ainsi, le réseau des chercheurs, des cadres, des innovateurs, des clients profite à toutes. [...]
La croissance endogène nous offre une réflexion d'une rare profondeur sur le fonctionnement économique. L'idée est qu'il ne peut y avoir croissance marchande forte sans quelque chose qui échappe, socialement, au marché. [...] Pour comprendre la croissance endogène, il faut penser à la recherche. Un chercheur travaille, seul ou en équipe, et propose ses résultats dans des congrès à d'autres chercheurs. Le principe de la recherche est la gratuité. Offrant ses résultats, il sait deux choses: 1) il ne perdra rien de ce qu'il sait, car contrairement au litre d'essence, qui appartient à Pierre et non à Paul, le théorème de Pythagore peut appartenir à plusieurs personnes; 2) il apprendra des autres, autrement dit, il recevra d'eux. Phénomène de rendements croissants: de l'échange gratuit, tout le monde ressortira enrichi, sans rien avoir payé.
La croissance des pays s'explique donc par des phénomènes gratuits qui compensent les tendances funestes de la compétition à tirer en général les économies vers le bas. Ils introduisent des éléments qui permettent de lutter contre la rareté liée à la compétition pour les places, les biens, l'espace..."

On voit bien que la compétition, un pilier fondateur des économies libérales, tend à augmenter la rareté des biens qui deviennent accaparés par les plus forts, et n'est donc certainement pas un bon moyen pour lutter contre la pauvreté. En revanche, la coopération et la gratuité offrent des mécanismes de bouclages positifs qui permettraient une croissance encore plus rapides (tout en faisant bien attention que cette croissance soit compatible avec le fonctionnement de la nature, si on ne veut pas finir avec des phénomènes de bouclages négatifs qui ruineraient tout) !

Extraits cités de Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 1. Les fourmis, chapitres "Le partage de la richesse" et "La croissance".

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