"Christiane Singer raconte une magnifique histoire. Un formateur américain, un sportif, arrive dans un village d'Afrique, bien décidé à inculquer l'esprit de compétition aux petits Noirs. Il organise une course: « Le premier arrivé aura une récompense. » Bang ! Départ. Et... tous les enfants se prennent par la main et arrivent ensemble, en riant et chantant sous les yeux médusés du fabricant de compétiteurs. Ces enfants sont libres. Les petits prodiges du sport moderne, eux, sont esclaves. Il n'y a aucune liberté dans la concurrence: la concurrence est une glu, pis, un étau qui nous enserre et nous pressure. Nous ne sommes pas libres de lutter contre les autres, nous sommes pressés comme des citrons, produisant d'ailleurs un jus de plus en plus aigre dans une vie d'aigreur."
C'est la première fois (du moins je crois) que je lis une critique de la concurrence, concept tellement ancré dans nos sociétés occidentales, et qui nous est inculqué dès notre plus jeune âge, qui résonne avec mon intuition. Pourtant, la concurrence n'a pas que du mauvais:
"Nous touchons du doigt l'un des phénomènes les plus étranges de l'économie qui justifie, il faut le reconnaître, le concept de concurrence. Paradoxalement, la concurrence renforce l'esprit coopératif.
Image: un match de foot. Imaginons un entraîneur libéral qui, dans les vestiaires, avant le match, braille: « Chacun pour soi ! Surtout, pas de passes ! Perso-perso-perso ! Que chacun se démerde et on gagnera ! » L'entraîneur coopératif maintenant: « Le collectif, d'abord le collectif, surtout le collectif, les gars ! » On ne donnera pas cher de l'équipe entraînée par le libéral. Pour autant, la concurrence agit comme un aiguillon: le désir de battre l'autre équipe, le fait d'être en « concurrence » avec elle, ne peuvent que renforcer le collectif. Il est clair que la concurrence stimule les phénomènes de coopération.
Alors ? Cherchez l'erreur ?
La concurrence des deux équipes de foot n'est pas exactement celle de l'économie, qui ressemble plus à celle de la guerre. L'autre équipe n'est pas détruite. On se serre la main en fin de partie. On pourra rejouer ensemble. Dans l'économie, quand une équipe gagne le marché, l'autre disparaît. Pire: si une économie nationale détruit une autre économie nationale, elle souffrira en retour de cette destruction. La France a gagné contre l'Allemagne en 1914. L'Europe, c'est-à-dire la France plus l'Allemagne, a perdu. L'Allemagne a gagné contre la France en 1940. L'Europe, elle, a été mortellement blessée. Plutôt que la concurrence, il serait plus juste de dire que l'adversité renforce la coopération. C'est dans les moments difficiles (épidémie, catastrophe...) que la coopération resurgit naturellement. La dernière grande peste de Marseille (1720) a engendré un immense effort coopératif et de solidarité, et a permis d'énormes progrès en matière de prévention, de prophylaxie, d'hygiène et de construction hospitalière."
Voilà me semble-t'il une bonne position sur la question: la concurrence est bonne tant que les enjeux sont secondaires, mais lorsqu'il s'agit de besoins primaires (gagner suffisamment pour vivre décemment) elle devient malsaine...
Extraits de Bernard Maris, dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les cigales, chapitres "L'espérance de vie" et "La revanche de la coopération".
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1 comment:
Mon point de vue est que:
1) la concurrence n'est pas un produit de la culture humaine, mais est plutot un des piliers de la Nature: si les ressources sont limitees, les especes sont en concurrence les unes des autres. Bien sur, elles pourraient se partager les ressources equitablement mais ce genre d'action demande des concepts beaucoup plus avances que celui de la concurrence qui est ancre dans nos genes. La Nature est concurrentielle malheureusement. La concurrence a ete, fait de l'histoire naturelle, la premiere solution "trouvee". Cela aurait tres bien pu etre le partage, mais ce n'est pas le cas. Il faut donc accepter la concurrence comme faisant partie de notre bagage genetique. C'est un point essentiel. La juger comme etant bonne ou mauvaise est ensuite une autre histoire, basee sur une vision beaucoup plus complexe et etayee du monde.
2) Il me semble que le partage nous parait "bon", parce que justement il nous eleve de nos sentiments primaires. L'amour, l'entre-aide sont tous des des sentiments qui nous touchent PARCE QUE l'on connait la haine, la jungle et la concurrence. Imaginons un instant un monde ou le partage serait la reaction primale et serait exprime directement dans nos genes. Je ne suis pas sur que ces sentiments seraient aussi forts pour moi que maintenant. Peut-etre que dans ce monde, au contraire, les "romantiques" seraient attires par le combat entre les gens, encore une fois pour se detacher, s'elever de notre bagage genetique.
Conclusion, bien que j'adhere sur les effets nefastes de la concurrence, je l'accepte comme produit de l'histoire naturelle, et je me "bats" tous les jours pour offrir une solution qui me parait plus humaine. Ni la concurrence, ni le partage sont intrasequement "bon" ou "mauvais" chacun de leur cote. Nous les ressentons parce que les deux co-existent, parce que nous voulons opposer a nos actions primaires, des actions plus developpees, plus humaines.
J'avoue qu'il y a plus que ce que je viens de dire. Je n'offre ici, a mon avis, qu'une solution superficielle et naive. Je pense qu'on peut aller beaucoup plus loin.
Le but, mon but, est de comprendre la source de tous les dogmes, non pas pour les detruire (je pense aussi que le partage est la "meilleure" solution), mais pour vivre en paix avec moi-meme ET avec les autres. Plus je decouvre, plus je me rends compte que la difference entre deux positions soi-disant fondamentalement differentes, n'est, a la source -la vraie-, qu'une difference beaucoup superficielle, qui permet de comprendre, d'accepter les deux positions. Sentiment formidable! Bien sur, je l'avoue, aucune demarche n'est parfaite...
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