Je recopie ici ce beau texte de Jean Zin (publié initialement ici) sur la propriété intellectuelle (et je recommande la lecture intégrale de la page indiquée):
"La propriété du génie n'est pas dans le fait, dans la découverte elle-même, mais dans la conception d'ensemble, dans la relation, le raccourci, l'éclair, l'articulation, le système. Un grand savant ne se réduit pas à la somme de ses découvertes qui sont plutôt influencées par sa personnalité, sa philosophie de la science. De même ce qui fait un grand artiste, ce n'est pas telle ou telle oeuvre mais ce qui se répond de l'une à l'autre, le monde qu'il a su faire émerger. Le révolutionnaire aussi se distingue par son style, son attitude et ses formules plus que par ses faits d'arme fussent-ils glorieux. Le talent, c'est l'exigence, l'insatisfaction et le travail ! En dehors de cette exigence de vérité et d'authenticité, du courage de dire et de se corriger, personne n'invente rien. Les idées originales sont presque toujours fausses, ou pas aussi originales qu'on le croit. On s'inscrit plutôt dans une histoire ancienne. Le monde et le langage nous précèdent, on ne fait jamais que restituer ce qu'on a appris, ramasser ce qui traîne, mettre en relation du bien connu, renforcer le trait. Répétons-le, le génie ne fait que rassembler des savoirs épars, les mettre en série, en tirer une logique, un éclair. C'est une logique propre qu'on pourrait lui attribuer, plus que ses manifestations concrètes.
La propriété intellectuelle d'une découverte peut toujours être contestée car l'intellect est commun, toute découverte est collective puisqu'elle s'inscrit dans un discours (sinon elle est tout simplement ignorée). Un texte est toujours constitué d'autres textes, de citations révolues comme disait Barthes. C'est ce qu'on appelle l'intertextualité mais cela s'applique aussi bien à la musique ou à la peinture dont l'évolution historique est presque entièrement auto-référentielle, chacun se copiant inévitablement en constituant ainsi le style de l'époque. Le plagiat règne en maître, les procès en paternité sont toujours contestables. Cela n'empêche pas que le rôle de l'auteur, l'orientation qu'il donne, l'agitation qu'il suscite, restent irremplaçables. En tout cas il faut constater que les attributions les mieux établies peuvent toujours être remises en question. Plutôt que de se lancer dans d'interminables complications, il faudrait vraiment renoncer à vouloir étendre le domaine de la propriété dans le domaine immatériel, surtout dans celui des connaissances et du logiciel. Nous sommes tous les fils de notre temps. Il faut faire l'éloge du plagiat, pas plus coupables que les gamins qui s'échangent avec raison des musiques MP3 qui sont faites pour ça. Il vaut toujours mieux citer ses sources mais de toutes façons un mauvais plagiaire restera mauvais. Evitons les interminables querelles d'appropriation, évitons les brevets logiciels qui empêchent de programmer (il faudrait s'assurer que chaque ligne de code qu'on écrit n'est pas brevetée!) Certes, il est injuste que le génie ne soit pas récompensé comme il le mériterait. On a rarement tout ce qu'on mérite mais la vérité ne se marchande pas et il n'y a pas d'autre hommage dans le domaine du savoir que d'être repris et dépassé par d'autres. Poincaré avait raison de ne pas accorder d'importance à l'appropriation de ses découvertes. Tout ce qui peut s'approprier ne vaut pas grand chose, ce n'est que du travail. Le génie ne s'achète pas, c'est un coup de chance, un miracle dans toute sa gratuité et qui est donné à tous."
Cité par Bernard Maris dans l'Antimanuel d'économie. 2. Les Cigales, chapitre "Capitalistes et savants ou comment l'argent naît de la gratuité.
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